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samedi 15 septembre 2007

Hokkaido Tour : Les îles perdues (6)

Sommaire

Jour 8 (15 sept) : Betsukai 別海 – 根室 Nemuro (116 km)



Ce samedi il pleuvra un peu toute la journée. Mais ça change rien, je vais quand même (encore) au "bout du Japon", le cap Nosappu, 納沙布岬. La route est toute plate et super brumeuse, on ne voit plus rien devant.






Finalement j'aurai bien profité du beau temps pour voir les grands lacs du parc national d'Akan. A mon avis, le seul truc que je peux dire que j'ai loupé, c'est kami-no-koike, 神の子池. On en voit des photos partout sur internet, et je pensais que c'était Onneto-ko. En fait c'est d'après la carte au bout d'un chemin merdique de l'autre coté des montagnes Mashu-ko.


Arrivée dans le coin ... mais encore loin



Meiji, c'est un peu le Danone japonais, et comme il n'y des vaches qu'à Hokkaido ...


Un onigiri comme à Shikoku que c'est pas le rikiki de Honshu, avec une grosse surprise à l'intérieur



Pour en revenir à ma route du samedi, je passe devant des panneaux indiquant une gare, alors que ça faisait belle lurette que je n'avais pas vu de bâtiments. C'est bien une gare desservie tous les jours par des vrais trains, mais avec rien – du tout – autour, 初田牛駅, Hattaushi-eki. Je suis intrigué et suis les panneaux pour aller à la gare. Il faut prendre un petit chemin de tracteurs, puis enjamber les rails. C'est vraiment n'importe quoi. A l'intérieur, il y des notebooks des gens de passage qui laissent un mot. Le dernier est en cours d'écriture depuis 2005. Il n'y a pas beaucoup de messages en hiver, et ça monte à 3, 4 par semaine en été, par des touristes qui comme moi, se sont arrêtés pour voir ce que c'était que cette gare.






En cherchant sur internet à mon retour, je constate que 初田牛駅 a sa page Wikipedia. (on y voit un chemin en gravier plus sûr que mon enjambement de rails, pourtant je n'ai fait que suivre les panneaux …). Ca parle des 秘境駅 (hikyo-eki), "stations paumées", qui elles ont même une wikipage en anglais. Il suffit d'aller au nord de Kyoto pour en voir des qui font peur, d'ailleurs j'en avais déjà parlé.

A ce moment je me disais encore que je devais être le seul à trouver rigolo de visiter des stations paumées, mais non, les Japonais seront toujours plus tarés. En suivant le lien en bas de la page wiki en anglais, on tombe sur le site d'un gars qui a recensé 181 gares paumées dans tout le pays (Il y a environ 9261 gares dans tout le Japon, dont environ 4600 sur le réseau JR), avec photos et histoire à l'appui. C'est incroyable. En plus il met des notes. 初田牛駅 arrive en 18ème position, celles au nord de Kyoto que j'avais qualifié de "plus paumées du monde" ne sont que 127ème et NC (là je suis pas d'accord, il n'a pas classé une gare que même Indiana Jones aurait du mal à rejoindre). Je suis déjà passé par certaines du Top 181, mais si un jour je trouve comment imprimer un ticket JR illimité, je ferai mon propre classement.


Pour continuer avec les chiffres sur les trains, le Japon à 27000 km de lignes (superficie du pays : 377000 km²) dont 20000 pour JR. La SNCF exploite 32000 km de lignes (superficie du pays : 551000 km²), soit 23% de lignes en plus au Japon. Mais il en parait bien plus. Et surtout, je trouve pas le nombre de gares SNCF. (C'est au moins 770, mais on est loin de 9261 …)

(plus de statistiques sur les gares japonaises)


Quelques affiches ...

Ne surtout pas dépasser la ligne jaune ...


Poser des pierres sur les rails, c'est un crime



Attention !



Banalités ...




Je prends la route censée être belle d'après mes cartes, mais je n'y vois rien, à part un renard. J'arrive à un cap, 落石岬, Ochiishi-misaki, et je décide d'aller voir le phare au bout même s'il pleuvine encore et qu'il faut marcher 2 km. Dont environ 1 km de ponton qui serpente au dessus de marécages dans un bois, c'est une ambiance très particulière.






Le phare n'est pas allumé mais les sirènes cassent les oreilles. Le bord de mer est lui aussi infesté de fourmis volantes.





Je repars vers le prochain cap, qui est 花咲岬, hanasaki-misaki, connu pour son crabe. J'arrive par une petite route et je suis surpris de voir presque tout sous-titré en russe. Je veux goûter ce crabe de Hanasaki, 花咲カニ, et entre dans la première boutique peinte en rouge avec des dessins de crabe à l'entrée. Je suis accueilli par un chaleureux 「何人?」, "T'es un quoi?". Je dis que je ne suis pas Russe, la commerçante me regarde bien pour confirmer "En effet, en regardant bien t'a pas une tête de Russe". Puis on cause un peu le temps qu'elle me file du fameux crabe tout frais, qui est super tendre. D'après elle la pluie va s'intensifier et il vaut mieux que je parte vite si je veux rejoindre le cap Nosappu. Dans les parages, je vais voir 車石, la pierre voiture.







Mais je n'ai pas vu ce que google images appelle 車石.





Il me reste une trentaine de kilomètres avant le bout du bout. On le sent venir grâce aux panneaux le long de la route comme 「四島返せ!」 (Rendez-nous les 4 îles !), ou bien des plus décorés :


"島はうばわれた : On nous a volé nos îles". Le panneau en bas demande au coupable de retirer ces pancartes





On est en effet tout près des sources de tension entre le Japon et la Russie, les 4 îles 歯舞諸島, 色丹島, 国後島, 択捉島 : Habomai, Shikotan, Kunashiri et Etorofu. Le Japon les appelle 北方領土, hoppo-ryodo, pour "Les territoires du Nord".




A long time ago in a galaxy far, far away, les îles Kouriles, cette chaîne reliant le Hokkaido japonais au Kamchatka russe, étaient peuplées par les Ainus, tout comme le Kamchatka et Hokkaido avant que les Japonais ne les délogent/absorbent. Les Russes ont du faire pareil de leur coté puisque les 2 parties signent en 1855 le traité de Shimoda, s'accordant sur le fait que les 4 îles du sud, jusqu'à Etorofu (= Iturup) seraient japonaises, et le reste, à partir de Uruppu (= Urup) seraient russes. En 1875, ils signent une nouvelle fois pour échanger la part du Japon dans Sakhaline, une grande île plus à l'ouest, contre toutes les îles jusqu'au Kamchatka. Dans l'histoire, les locaux, les Ainus sont les seuls à se faire bien avoir (d'ailleurs, leur philosophie est que le sol appartient à tout le monde, donc il n'y a pas lieu de se battre pour le garder, donc … ils se sont éteints).


Période d'expansion territoriale pour les 2 parties, ils se rencontrent encore en 1904 pour se faire la guerre 1 an et demi. En 1905, le Japon récupère la moitié de Sakhaline et garde toujours l'intégralité des Kouriles. Jusqu'à la seconde guerre mondiale, les Japonais se développent sur ces îles et la population atteint 17000 âmes. Après leur défaite à la WW2, ils doivent rendre au traité de San Francisco tous les pays et îles dans lesquels ils sont allés faire la guerre, et quelques expériences inhumaines, dont les îles Kouriles. D'après ce que j'ai compris, il y aurait eu un malentendu et ils pensaient garder les 4 îles "Northern Territories". Les Russes ne l'ont pas entendu de la même manière, et depuis lors occupent militairement toutes les Kouriles jusqu'en bas, où c'était pratique pendant la guerre froide. Les Japonais réclament alors toujours leurs 4 îles … (en images)




J'arrive donc enfin au cap Nosappu, 納沙布岬, au bout du bout. Tout est organisé autour du "Rendez-nous nos îles", une flamme, des innombrables plaques, des signatures, une cloche, plein plein de chiffres … Bien que juste à 7 km de là, on ne peut pas voir les îles Habomai.



Une flamme qui brille pour penser aux frères Japonais séparés, et une grande arche moche pour faire le pont vers les îles




Ils aiment bien comparer à des prefectures japonaises pour montrer comment ces îles sont grandes


La flamme olympique des JO de Tokyo, 1964


Signez la pétition pour le retour des îles ... (et en bonus, l'homo japonicus avec sa massue moderne)


Etorofu, 択捉島


So close ! So big ! Our Northern Territories !


納沙布岬, le cap Nosappu est le point le plus à l'Est du Japon (pour le Japon dont on est sûr qu'il lui appartient)





Les 花咲カニ, Hanasaki kani



Les sirènes assourdissantes des phares



Je vais manger un kani ramen, avec le kani de Hanasaki.





Vers 16h je décide de rentrer avant la nuit, et je repars vers 根室 Nemuro, la "grande" ville de 30000 hab. qui donne son nom à la sous-préfecture. La météo donnant 100% de pluie entre 0 et 6h, je téléphone à la seule rider house de Nemuro, mais qui n'existe plus... Avant de commencer à réfléchir à comment faire, je vois 3 feux d'artifices tirés depuis le port et je vais voir ce qu'il se passe. Il s'avère que ce samedi, je tombe pile pour le 根室サンマ祭, Nemuro sanma matsuri, le festival du sanma. Il y a un stand avec des chanteurs bien bruyants, et comme à chaque festival des stands de trucs à manger et plein de monde. Je ne me suis jamais senti aussi Russe parmi la foule et je me décide à tester l'originalité du festival, le sanma. Il y a une rangée de pêcheurs qui les distribuent, à ma surprise gratuitement ! Il suffit de prendre les poissons et de se poser sur les bancs le long des barbecues.




Une fois que mes voisins, dont un coupe mulet, sont au courant que je ne suis pas Russe, ils m'expliquent que y'a plein de sanma à gratuits à volonté, alors on se permet de manger que la meilleure partie et de jeter le reste. "De toutes façons, on est protégés par les USA donc on peut gaspiller" … Evidemment ils sont pêcheurs comme tout le monde ici, alors ils ont en provision plein de trucs fraichement pêché qu'ils me font goûter, crevettes, moules, crabe (encore de Hanasaki) … Le plus âgé est tout fier de me dire que les Japonais sont menteurs, roublards et payent mal le travail accompli. C'est la première fois que j'entends un truc aussi vrai de la bouche d'un Japonais.



A cause du réchauffement climatique, les poissons vont chercher l'eau plus froide au nord (= Russie …) et les pêcheurs 漁師 de Nemuro ne prennent pas la moitié de ce qu'ils prenaient avant, et petit à petit quittent la région. Ils leur faut dealer avec les Russes pour acheter le poisson, et comme ils disent, "les russes sont de plus en plus riches, et nous de plus en plus pauvres". Cela exclut bien sur le set sac + porte-monnaie Louis Vuitton de sa femme, qui au Japon est tout à fait banal, même chez les pêcheurs de Nemuro.

Ca confirme aussi ce qui étaient évident : on sent bien que ça tient pas debout l'histoire d'amour entre le Japon et ses 4 îles presque désertes dont on fait des mémoriaux et musées pour qu'elles reviennent, c'est juste pour avoir les zones de pêche (sans se faire tirer dessus par la marine russe). Mais voisins de la soirée n'y croient plus trop.

Puis vient la fin du festival avec du Yosakoi. Ils me disent que le lendemain, il y a un autre festival à Rausu à 140 km de là, et ils partent en moins de deux. J'ai plus qu'à aller au 明治公園.



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