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mercredi 17 décembre 2008

Les maiko de Kyoto (2)

Voilà un post complètement entre tradition et modernité qui fait suite à celui sur les maiko de l'année dernière, car j'ai de l'information et des photos supplémentaires.

En effet, au cours du dîner l'autre soir, Shimada-san, artisan de père en fils au même endroit depuis 5 générations, nous a raconté une expérience maiko du point de vue du client local et fortuné. Pour passer une soirée agréable en compagnie d'une de ces apprenties geisha, il en coûte 200000 yen les 2 heures. C'est un petit salaire mensuel, taxes déduites, que bon nombre de Japonais doivent toucher. Donc tout ça pour s'amuser, boire, et se faire occuper par une maiko, qui joue avec ses clients à des jeux traditionnels, par exemple avec des rôles de chat et de tigre (mais ça j'ai pas tout compris).
En cas de petite soif, le thé est facturé 5000 yen. Et je suppose que quel que soit le montant de la facture, le client va toujours payer sans discuter …

Au labo


Mais le prix exorbitant n'est sans doute pas la plus grande barrière pour accéder à ces services particuliers. La règle – comme bien souvent à Kyoto – qui consiste à refuser les clients qui se présentent pour la première fois est de vigueur. Ca doit faire bizarre de se présenter là-bas en sachant qu'on ne va pas pouvoir rentrer. Et bien sûr, on ne peut pas rentrer tout seul, il faut être introduit par un habitué. Ce sont des barrières pour s'assurer de l'authenticité du visiteur et de lui faire mériter la confiance qu'il se verra accorder plus tard. C'est bien dommage car cette rigidité est aussi présente dans tout plein de situations banales de la vie de tous les jours, rendant le Japon accessible minuscule comparé au Japon réel.

Mais ce n'est pas encore aussi simplement que l'on obtient la confiance (hem, en plus ici c'est juste le droit d'aller dépenser son argent) des mama-san des maisons de thé. D'après l'histoire de Shimada-san, un habitué avait introduit un nouveau dans une maison. Mais pour les 3 fois suivantes lorsque ce nouveau s'est rendu seul, la note a été envoyée (on ne paye pas sur place, la note arrive quelques jours plus tard) à l'habitué. Ca n'est qu'au bout de la 4ème fois que le nouveau est suffisamment honorable pour recevoir la note dans sa boîte aux lettres.

Echange de cartes de visite pour commencer une bonne coopération


C'est un peu comme ça le business à la japonaise, qui préfère de loin les connaissances et les semblables aux "extérieurs", aussi connus ou fortunés soit-ils. Et quand on en vient à 祇園 Gion, le quartier qui condense la tradition de Kyoto, il ne faut pas aller bien loin pour se retrouver "à l'extérieur". Ca peut simplement être Japonais et local, mais descendant d'une famille pas locale. Parmi les anecdotes récentes, l'ancien premier ministre du Japon s'est fait refusé l'entrée à l'un des restaurants. Alors bien sûr, quand Michelin a essayé d'y faire son guide gastronomique, ils ont du constater que les "vendeurs de pneus étrangers" ne sont pas accueillis chaleureusement non plus. Bienvenue dans le Japon qui est fier d'utiliser des mots et des caractères que même le commun des Japonais ne peut pas déchiffrer, et qui compte en générations plutôt qu'en années.

Mais d'un autre coté, il est tout-à-fait possible d'approcher des maiko, gratuitement en se postant stratégiquement à 花見小路通り aux bons horaires pour une photo, ou en payant un petit peu (comparé aux tarifs cités plus haut) pour une bière, un repas ou une visite. Sûrement que plus on s'éloigne de l'office du tourisme, et plus on peut avoir une expérience secrète …






Aujourd'hui, 17 décembre, c'est le fossé intersidéral et interculturel entre tradition et modernité qui m'a apporté ces 2 舞妓 maiko. Comme 2 ans plus tôt à mon arrivée, où je ne parlais pas grand-chose de japonais, les gens de mon labo ont invité 2 maiko-san pour produire des vidéos 3D sur lesquelles ils pourront faire tourner leur algorithmes de compression.

Je viens de finir une expérience sur les machines de l'installation voisine et apprenant la chose sur le tard, je décide de rester un peu plus longtemps en reléguant le repas du midi à plus tard.

Elles arrivent avec un monsieur tout froid en costume noir. Elles échangent leur carte de visite, déchaussent leur sabots et pénètrent dans le décor, sous la vigilance du monsieur tout froid en costume noir.



Explications du système de 15 caméras qui vont les filmer en simultané



Et pendant qu'on les regarde sur les écrans de contrôle, les maiko exécutent une danse synchronisée.

Après leur passage en même temps, elles doivent recommencer, mais une par une. Celle qui n'est pas dans l'arène verte est alors au bureau, près du monsieur, à essuyer les gouttes de transpiration qui payent pour sa danse dans un habit pas pratique et dans un espace clos et trop chaud. Bref, elle est juste devant nous à ne rien faire. Les autres profs et chercheurs sont soit aux caméras, soit ils ont trouvé un truc à faire de dernière minute à l'autre bout de la salle. Il n'y a donc que nous les 3 étrangers devant la maiko, comme si les Japonais étaient timides, ne veulent pas leur causer car c'est pas inclus dans le contrat et ça rajouterait un gros supplément, ou simplement parce qu'ils s'en foutent. Mais c'est pourtant pas tous les jours qu'une telle situation se présente.



Alors j'attaque la maiko jaune avec mes questions impolies et déplacées, puisque de toute façon on est en dehors de la rigidité des traditions. Alors pour commencer, elle à 17 ans. Toutes les maiko, apprenties geiko, ont entre 15 et 20 ans. Ca doit être les rares Japonaises qui font pas plus jeune que leur âge, mais si on ne peut pas tellement dire qu'elles font plus âgées avec leur visage et expressions faciales qui n'ont pas grand chose de vivant. Après leur période d'apprentissage, elles deviennent donc 芸子 geiko (= geisha). A ce moment, elles changent, elles mettent une perruque, et des habits différents, sans les manches longues qui tombent sous les bras.

Il y a un peu plus d'une centaine de maiko à Kyoto, mais la plupart n'y sont pas originaire. Elle, est d'Osaka. Son gros sac, il est rempli de produits de maquillage et il pèse bien lourd. Il y a aussi des figurines qui pendent comme celles qui pendent par dizaines aux téléphones portables des jeunes Japonaises (de toutes les Japonaises en fait, vu que leur âge mental n'est qu'une homothétie de rapport 1/3 de leur âge réel).



Ce qui m'a toujours intrigué, c'est de savoir si une fois l'habit de travail retiré, les maiko perdent toute leur splendeur et leur respect pour devenir les équivalentes d'écolières moyennes et vont aux purikura, ou si elles restent des gens spéciaux et intéressants ("高校生" c'est lycéen/enne, mais attention, ne pas le taper dans Google Images avec le SafeSearch désactivé (et c'est même pas 女子高生)).

Il paraît qu'un œil averti peut reconnaître une maiko/geiko habillée "en civil" dans la rue à sa démarche professionnellement déformée. Je lui demande si elle sort, mais elle fait une sorte de grimace et le monsieur tout froid en costume noir fait une croix avec les bras. "Non, pas de temps libre". Toutes ses activités (travail et études) sont organisées pour elle. A partir de geiko, elles ont un petit peu de temps libre …

Si je pose des questions inhabituelles (autres que "combien de temps ça prend pour le maquillage ?"), elle se tourne vers son chef qui donne son accord ou qui répond à sa place. Une fois de plus, pas moyen de discuter d'autre chose que du temps, des fleurs ou d'anecdotes futiles.


Alors la première maiko bleue a fini le tournage de sa dance et elle laisse sa place à la maiko jaune. On continue donc la discussion avec 冨久君 Fuku Kimi, elle aussi d'Osaka. Elles sont toutes les 2 de 宮川町 Miyagawa-cho, un des 5 districts à Maiko (voir premier post). Elle parle un peu anglais, mais au besoin elle a un traducteur qui l'accompagne. Elle me surprend en disant que la moitié de ses clients durant l'automne étaient étrangers. Une fois, elle a du parler avec ses mains et en pointant des photos. Une autre anecdote, elle a l'habitude de se faire encercler par des appareils photos de touristes et être condamnée à fuir (ce qui ne m'étonne pas), mais une fois, dans une foule d'au moins 30 personnes, elle a du courir. Et avec ses semelles renforcées (okobo) de 10 cm, elle a inévitablement chuté. Mais un étranger l'a aidé à se relever et elle a apprécié.

La maiko jaune ressort et avant de partir, on demande à faire une petite séance photo. Le monsieur froid en costume noir donne son accord alors on en profite.

Comparatif du raffinement de nos tenues traditionnelles respectives (sur un beau fond d'escabeau)

画像クレジット:高井さん

冨久君 Fuku Kimi nous remet aussi sa 名刺 [meishi] carte de visite, en version autocollante.

Cartes de visite de maiko. Au centre, 冨久君, la maiko bleue, et 宮川町, le nom de son district. A gauche et à droite, les meishi des maiko de l'année dernière, à 先斗町


Les maiko repartent au moment où on se fait livrer 3 grands écrans plats Panasonic Viera 40 pouces, qui vont rejoindre le 65 pouces de 80 kg. La raison ? "お金を使う...".

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